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Monde Economique : La prévoyance est sûrement l’un des sujets les plus complexes. Pouvez-vous dresser un rapide état des lieux de la situation ?

Alain Canonica : La prévoyance en Suisse a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. Dans les années 90, les produits de retraite bénéficiaient d’un taux technique garanti de 3,5%, depuis 2016 il est de 0,05% au maximum. Mais la baisse des taux d’intérêt ne permet plus aujourd’hui aux compagnies d’assurance de garantir, pour les nouveaux contrats, le versement d’un capital garanti correspondant à la totalité des primes versées comme c’était le cas auparavant. Aujourd’hui, un client doit obligatoirement orienter son choix vers un produit à haut rendement s’il veut recevoir un capital à l’échéance, plus élevé que la somme des primes qu’il aura versée.

Monde Economique : Ces produits à haut rendement sont liés à des placements. Comment le client peut-il savoir si les entreprises dans lesquelles son épargne est investie correspondent à ses valeurs ?

Alain Canonica : Le secteur de l’assurance s’intéresse depuis longtemps au secteur du développement durable, mais jusqu’à présent il n’était pas possible de proposer un produit solide aux clients en raison du nombre peu élevé de fonds de placements prenant en compte les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Les risques de fluctuations importantes et de pertes étaient bien réels. Aujourd’hui, de nombreux investisseurs institutionnels ont développé ce type de fonds. En 2020, sur 200 fonds, 42 d’entre eux certifiés ESG ont terminé avec un net avantage en termes de performance par rapport aux fonds d’actions traditionnels.

Monde Economique : Concrètement quels sont les critères étudiés?

Alain Canonica : Pour l’environnement, par exemple, on va prendre en compte l’attitude d’une entreprise en matière de déforestation, de biodiversité, d’efficience énergétique ou encore de pollution de l’air et de l’eau. Concernant l’aspect social, on va s’attacher notamment aux droits humains, à la diversité et à la gestion du genre, aux conditions de travail ou encore à la protection des données et de la vie privée. Enfin, pour la gouvernance, la composition du conseil d’administration, le lobbyisme et l’attitude de l’entreprise envers la corruption font, par exemple, partie des critères qui entrent en compte dans le cadre d’une certification ESG.

Monde Economique : Cette idée de sélectionner les investissements en fonction des facteurs ESG est-elle nouvelle ?

Alain Canonica : Non, mais elle a beaucoup évolué au cours du temps. Le lancement du premier instrument d’investissement enregistré « responsable » date de 1928. Il s’agissait du fonds américain Pioneer qui rejetait les investissements dans les industries du tabac et de l’alcool en raison de leurs effets négatifs sur la santé. Par les étapes importantes, on retient aussi la conférence de l’ONU à Stockholm en 1972 qui portait sur l’environnement humain et abordait les compromis et défis liés à la durabilité, à la croissance économique et au développement. En 1990 a lieu le lancement du Domini 400 Social, soit le premier indice « socialement responsable » au monde, suivi en 2006 par l’introduction des « Principes pour l’investissement responsable » (PRI), soutenus par les plus grands investisseurs du monde. Enfin, en 2015, c’est l’adoption des « Sustainable Development Goals » par 193 pays de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Monde Economique : Les clients sont-ils demandeurs ?

Alain Canonica : Oui, de plus en plus. C’est particulièrement vrai pour les jeunes entre 25 et 35 ans. Nous avons des clients qui, dès le premier contact avec nos conseillers en prévoyance, précisent qu’ils veulent investir dans des entreprises responsables. Certains préfèrent même reporter leur projet de prévoyance plutôt que de renoncer à ces critères.

Monde Economique : Et est-ce possible de leur proposer ce style de produits ?

Alain Canonica : Pas vraiment jusqu’à présent, mais à la fin du mois de mars, Generali a lancé Tomorrow Invest. Les fonds sont uniquement investis dans des entreprises qui ont été approuvées par l’agence de consultants Sustainalytics, l’un des principaux prestataires dans le monde qui évalue de manière exhaustive le caractère durable des activités des entreprises. En ce qui concerne, les rendements de ces fonds sustainable, ils devraient être les mêmes que ceux d’un fonds traditionnel. Le coût total (TER) de cette gestion de fonds sustainable est de 0,8%, ce qui est très bas pour ce type de gestion, mais un peu plus élevé que celui d’autres fonds gérés sur le marché. A titre de comparaison, pour un capital versé de 500’000 francs à la retraite, la différence pour le client va être de 25 000 à 50 000 francs de moins, mais les gens sont prêts à faire cet effort afin d’être en accord avec leurs convictions.

Sources de l'article

Cette interview provient du journal Le Monde Économique et est réalisée par Patricia Gagnon.